Nda : Depuis plus de 26 ans, le simple fait de suivre la carrière de Fred Chapellier (débutée en 1992 au sein du groupe Kashmir) a de quoi donner le tournis. Il faut dire que le chanteur-guitariste ne s’est jamais économisé, dégageant une énergie incroyable afin de parvenir à se forger un nom…puis à le défendre au jour le jour. Doté d’une grande faculté d’adaptation, cet artiste n’a jamais hésité à multiplier les collaborations et les concerts. Ceci dans les configurations les plusdiverses ; du petit club enfumé de province jusqu’à l’AccorHotel Arena de Paris Bercy. Une abnégation qui lui confère à juste titre le statut d’actuel « patron du blues français ». Pourtant, faisant fi des honneurs, Fred continue de lutter pour faire vivre sa carrière et pour la faire émerger du marasme actuel de l’industrie musicale française. A l’occasion de la sortie de son nouvel album « Plays Peter Green » (faisant suite à un autre projet, édité quelques mois plus tôt et enregistré en compagnie du groupe The Gents et du chanteur américain Dale Blade), c’est un Fred Chapellier un brin circonspect que je retrouvais sur mes terres. Pourtant, loin de ces questionnements inhérents à tous les grands artistes, il prouvait sur scène (le soir même) qu’il fallait toujours compter sur lui. Aux côtés de ses complices (Patrick Baldran à la guitare rythmique, Christophe Garreau à la basse et Guillaume Destarac à la batterie) il nous a, simplement, donné une leçon. Démontrant, au passage, qu’il était toujours le meilleur.
Fred, en ce qui te concerne, cette année 2018 a été particulièrement riche en projets discographiques. Tu as, en effet, sorti deux albums depuis le mois de mars. Dans un premier temps, je souhaiterais revenir sur « Set Me Free » enregistré avec The Gents et le chanteur louisianais Dale Blade. Comment cette idée de collaboration est-elle venue à toi ?
C’est suite à une première collaboration artistique, il y a environ 4 ans, dans le cadre du Cahors Blues Festival. C’est là que j’ai rencontré Dale Blade pour la première fois. J’ai, immédiatement, été sous le charme de sa voix et de sa personnalité. Depuis un petit moment, je cherchais un très grand chanteur. Il s’est littéralement présenté à moi et, lorsque je l’ai découvert, j’ai pris cela comme une évidence. De son côté, il a eu le même « flash ». De ce fait, nous nous somme dit que nous composerons des chansons ensemble, dès que nous aurons un peu de temps, afin de voir ce qu’il pourrait en découler. C’est ce que nous avons fait 3 années plus tard. Il en résulte une quinzaine de titres dont une douzaine a été enregistrée. Ce projet est donc né « tout bêtement », après une rencontre sur un plateau blues (consacré à la musique de la Nouvelle-Orléans) que nous partagions ensemble…
Dans le passé, tu as déjà eu l’occasion d’enregistrer avec divers artistes américains (Billy Price, Tom Principato…). Qu’est-ce qui, à ton sens, différencie Dale Blade des autres ?
Tom Principato est un guitariste avant d’être un chanteur. Billy Price, quant à lui, est un vrai grand chanteur mais c’est un blanc… Forcément Dale Blade, en tant qu’afro-américain, possède ce petit quelque chose de particulier qui se caractérise par une forme de chaleur et une manière de s’exprimer qui est différente de celle des chanteurs blancs. On sent qu’il a grandi dans les ghettos de la Nouvelle-Orléans. On sent qu’il vient de là…du blues, de la soul et du gospel. Ces musiques sont profondément ancrées en lui !
Avec Dale, vous avez collaboré sur l’écriture des chansons qui composent « Set Me free ». Le passé, pour ne pas dire le « passif », qu’il possède transpire-t-il à travers ces compositions ?
Tu sais, le blues évoque souvent des histoires simples. Il relate des faits de tous les jours, des histoires d’amour… Sur ce disque, nous n’avons pas dérogé à la règle. Nous étions sur la même longueur d’onde et souhaitions que, musicalement, l’ensemble sonne très blues. Aussi bien au niveau de la musique que des textes. Ce n’est pas du Shakespeare mais, en tout cas, ça respire le terroir américain. Des choses (positives ou négatives) du quotidien qui peuvent parler à tout le monde…
Ce projet à également été pour toi l’occasion de remodeler ton groupe. Peux-tu, de ce fait, me présenter les musiciens qui t’accompagnent depuis, car ils bénéficient tous d’un cursus prestigieux ?
Absolument ! Nous avons Pascal « Bako » Mikaelian, l’un des harmonicistes français les plus en vue depuis 25 ou 30 ans. Il continue d’accompagner Bill Deraime et il a joué avec tout le monde. Christophe Garreau tient la basse et a, lui aussi, joué avec un nombre incalculable d’artistes français ou américains. Il a, notamment, été l’un des accompagnateurs de Paul Personne durant 10 ans. Guillaume Destarac, notre batteur, accompagne beaucoup d’américains lorsque ces derniers viennent se produire en Europe. Il a, aussi, joué très longtemps avec Nico Wayne Toussaint. Philippe Billoin, qui possède un cursus davantage orienté vers le jazz, est au piano. Il joue aussi avec le chanteur-guitariste new-yorkais Chris Bergson.
Ton second album de l’année, « Plays Peter Green - Live Recording » est, comme son nom l’indique, un hommage à l’ancien guitariste du groupe Fleetwood Mac. Après avoir déjà signé un tribute à Roy Buchanan en 2007, pourquoi as-tu décidé de te pencher plus particulièrement sur le cas de cet instrumentiste ?
Un petit peu pour les mêmes raisons que pour l’hommage à Roy Buchanan. A chaque fois que je jouais 1 ou 2 morceaux de ce dernier, il y a 10 ou 15 ans, tout le monde me demandait de qui c’était. Quand, en réponse, je prononçais le nom Roy Buchanan…je me rendais compte que peu de gens le connaissaient. J’ai constaté le même phénomène en ce qui concerne Peter Green. Beaucoup sont passés à travers son répertoire, alors qu’il s’agit d’une mine d’or et qu’il est le fondateur du légendaire groupe Fleetwood Mac. Il a composé des titres tels que « Black magic woman » que de nombreuses personnes attribuent par erreur à Carlos Santana. J’ai souhaité rendre à César ce qui appartient à César. Je voulais faire découvrir ce répertoire au plus grand nombre de personnes possible, tout en donnant envie aux connaisseurs de le redécouvrir.
Que représentent pour toi des gens tels que Peter Green ou Roy Buchanan, aussi bien d’un point de vue musical que d’un point de vue humain ?
Ce sont des gens qui ont le blues profondément ancré en eux. Quand tu composes des morceaux aussi fabuleux que « Black magic woman » à l’âge de 23 ou 24 ans, c’est qu’il y a quelque chose d’inné en toi ! Pour moi, Peter Green est un guitariste-chanteur qui est aussi important que B.B. King. Ceci de par la qualité de son jeu, de ses compositions, de sa voix et de ses interprétations. D’ailleurs B.B. King disait de lui qu’il était le seul guitariste-chanteur qui lui donnait vraiment des frissons.
Il est l’un des plus dignes représentants du british blues boom des années 1960. Différencies-tu cette école à l’école américaine qui lui était antérieure. Ressens-tu des différences notables entre ces deux registres de blues ?
Pas vraiment… Qu’il s’agisse d’Eric Clapton, Michael Bloomfield ou Peter Green, les anglais se sont approprié le blues américain et ils l’ont joué à leur manière. Ils ont grandi en écoutant tous les bluesmen américains que nous adorons (B.B. King, Albert King, T.Bone Walker, Muddy Waters…). Ils y ont ajouté leurs propres particularités, car les anglais possèdent leur propre approche du blues. Ce sont des blancs et, de ce fait, ils ont leur propre timbre de voix. C’est aussi ce qui les différencie des artistes d’outre Atlantique. Pour moi cela reste, cependant, la même chose. Ils représentent la continuité des grands bluesmen noirs américains.
Evidemment, comme tu le précisais, Peter Green a composé énormément de grands morceaux qui sont devenus des standards. De ce fait, je suppose que le choix a été difficile en ce qui concerne ta sélection finale… Comment t’y es-tu pris et comment justifies-tu ton choix ?
Effectivement, la liste est vraiment longue…car il y a beaucoup de morceaux extraordinaires dans son répertoire. J’ai donc sélectionné 25 titres afin de conserver les 12 ou 13 que je considèrerai comme étant les meilleurs. Ceci en fonction de la qualité de nos prestations. Nous avons enregistré 2 soirs et, au final, nous nous sommes rendu compte que nous ne pouvions pas passer à travers certains classiques. Nous étions obligés de mettre « Black magic woman », « I loved another woman » etc. Les titres moins connus ont été choisi en fonction de la qualité de nos interprétations.
Contrairement à « A Tribute To Roy Buchanan » ce disque a été enregistré en public, de manière live. Pourquoi as-tu décidé de procéder de la sorte ?
Parce qu’au fil du temps, je me suis rendu compte que nous ne sommes jamais aussi bons qu’en live. Il se passe toujours quelque chose entre le public et les artistes. C’est assez inexplicable car, lorsque nous sommes en studio, nous sommes entre nous. Quand il y a un public, nous avons envie de donner davantage. Sa « réponse » nous fait nous dépasser. La question ne s’est donc pas posée, je voulais le faire en live ! De plus, j’avais en tête tous les enregistrements publics légendaires de Fleetwood Mac (ceux datant de la période Peter Green). Je souhaitais refléter au mieux l’ambiance qui régnait à cette époque.
Est-ce que le but était de rester le plus fidèle possible aux enregistrements originaux, ou est-ce que vous aviez en tête l’idée de lui faire subir une sorte de « lifting » ?
Le principe était de rester le plus fidèle possible par rapport au son, à l’esprit et aux arrangements de l’époque. Ceci tout en y apportant, inconsciemment, notre touche personnelle. Je voulais rester dans l’esprit sans me brider et en me laissant aller. Naturellement, ma propre personnalité ressort sur quelques passages du disque.
Il y a bien longtemps que je n’ai plus vu Peter Green sur scène. La dernière fois, en 2003, il était déjà très diminué. As-tu tenté de lui faire parvenir l’album. Si oui, as-tu eu un retour de (si ce n’est de lui) son entourage ?
Je n’ai pas encore eu de retour de son entourage ou de Peter Green lui-même…mais j’y travaille ! En effet, je suis en contact avec quelques membres de sa famille. A ce jour, je pense que l’album est arrivé en Angleterre. Par contre, j’ai beaucoup de retours de la part du public anglais qui a l’air de beaucoup apprécier le disque. C’est une chose très importante à mes yeux, car en touchant à un tel patrimoine musical…je me devais de ne pas me louper.
Quelques invités de marque agrémentent le disque de leur présence. Nous y retrouvons, en effet, de belles surprises. Je crois que c’est la première fois que sont gravés des duos avec Ahmed Mouici (ex Pow Wow) et tu y retravailles avec Leadfoot Rivet. Quels ont été tes critères de sélection en ce qui concerne ces voix qui figurent sur l’album ?
J’avais envie d’inviter des gens qui adorent le blues. Avec Ahmed et Leadfoot Rivet,c’est vraiment le cas ! Je voulais présenter un panel assez large en ce qui concerne les voix. Je n’avais pas envie de quelqu’un qui chante, à peu près, comme moi. Leadfoot Rivet a plutôt une voix granuleuse, assez rauque et forte. Au contraire, Ahmed est franchement un grand chanteur de soul. Il est, également, très à l’aise dans le blues et le rock. Je voulais diversifier les voix ! Je leur ai dit de s’inspirer des versions originales, tout en interpréter les titres à leur manière.
Tu tournes de plus en plus avec ce projet. Puisque tu évoquais le public anglais précédemment, souhaiterais-tu leur présenter ce spectacle outre Manche ?
J’adorerais et j’en parle, actuellement, avec un pianiste anglais avec lequel je travaille. Il s’agit de Vic Martin qui était, par ailleurs, l’un des accompagnateurs de Gary Moore. Il aimerait que nous venions en Angleterre. De ce fait, nous travaillons sur ce sujet mais, pour l’instant, ce n’est pas simple. Financièrement c’est assez difficile à monter et, avec le Brexit, nous ne savons pas comment cela va se passer. L’avenir nous dira s’il sera facile, pour un groupe français, d’aller tourner en Angleterre… L’idée est là et je croise les doigts pour que cela se fasse…
Après cette année 2018, pleine de surprises discographiques pour tes admirateurs, envisages-tu déjà de nouvelles sorties dans le futur ?
Non… Comme tu l’as dit, nous avons sorti 2 disques coup sur coup en 2018. Nous allons continuer de les promouvoir. C’est à cela que l’année 2019 sera consacrée. Toutefois, je continue d’écrire beaucoup de chansons et de composer des instrumentaux. Avec Vic Martin et quelques musiciens anglais, nous envisageons justement de réaliser un album composé d’instrumentaux. J’écris pour d’autres personnes et je compte, de plus en plus, me diriger vers cela dans le futur. J’ai envie de proposer des chansons à divers artistes, dans le domaine du blues mais pas que… Cette idée m’éclate vraiment mais, pour le moment, rien n’est vraiment défini.
Après tout ce que tu as vécu ces 15 dernières années, estimes-tu être arrivé à un tournant de ta carrière ?
Je pense, en tout cas, que je suis arrivé à la fin d’un cycle. Je ne sais pas si je vais prendre ce virage vers la gauche ou vers la droite…à moins que je n’aille tout droit (rires) ! A partir du moment que je ne vais pas dans le mur, ça ira (rires) ! Ces dernières années, j’ai sorti pas mal d’albums sous mon nom et j’ai fait beaucoup de collaborations. Je crois que je vais, un peu, prendre le temps de souffler. Discographiquement, il n’y a rien de prévu pour 2019. J’ai besoin de réfléchir et d’analyser ce qu’il s’est passé ces 15 dernières années. L’avenir me dira quel est le virage que je dois prendre. Je n’en sais pas plus que ça à l’heure actuelle…
Ce nouvel album marque, aussi, la fin d’une très belle collaboration avec un label mythique qui est Dixiefrog. Ce dernier va, en effet, cesser son activité. Que souhaiterais-tu dire à son sujet, que te reste-t-il de ce beau partenariat ?
Dixiefrog est LE label légendaire en ce qui concerne le blues en France. Quand Philippe Langlois m’a proposé de distribuer le CD « A Tribute To Roy Buchanan » il y a une douzaine d’années, cela a vraiment été un honneur pour moi. Je me suis senti flatté car j’avais vraiment envie de travailler avec lui. Heureusement que, durant 30 années, nous avons eu ce label. Il a sorti des albums incroyables et à fait émerger énormément d’artistes très talentueux. Philippe y a toujours cru et y a mis toute son âme, tout son cœur, tout ce qu’il avait…afin de faire vivre cette musique dans notre pays. C’est incontestablement l’un des acteurs principaux de la scène blues française… Le fait d’avoir signé chez Dixiefrog, il y a 13 ans, m’a ouvert beaucoup de portes et m’a apporté une certaine crédibilité. Je n’ai qu’un mot à dire à Philippe Langlois et à Dixiefrog…c’est, évidemment, un grand merci !
Ce n’est de loin pas la première interview que nous enregistrons ensemble, il y en a eu pléthore… Cependant, comme à chaque fois, je vais te demander de la conclure en te laissant carte blanche…
J’ai simplement envie de remercier les gens qui me suivent, maintenant, depuis presque 20 ans…lorsque j’ai commencé à me produire sous mon propre nom. Du fond du cœur, merci à ce public qui me suit dans mes pérégrinations, qui a acheté mes albums et qui continue à faire en sorte que le blues soit toujours vivant en 2018. Ce n’est pas toujours simple, mais il existe encore une vraie audience. Tant que cette dernière sera là, je serai également là afin d’essayer de lui apporter le plus de bonheur possible. Merci encore à tous ces gens pour cette fidélité….
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